dimanche 2 mars 2014

27 - Le taureau furieux (George Sand)


Gilles Capton







Le taureau furieux



Une famille anglaise fait une excursion en montagne. Hope et Love, le frère et la soeur, sont descendus de la voiture pour gravir à pied un chemin au milieu des rochers.



Le frère et la soeur marchèrent environ dix minutes devant moi et prirent bientôt de l’avance sur la voiture, qui montait une côte rapide. J’entendis Love dire au domestique à pied :

«Restez près des chevaux, si le cocher s’endormait... C’est si dangereux !»

En effet, le chemin était fort peu plus large que la voiture, le roc montant à pic d’un côté, de l’autre tombant de même en précipice. Instinctivement, je me plaçai entre les chevaux et l’abîme, et je vis Love se retourner plusieurs fois ; il semblait que ma présence la rassurât ; mais, bientôt, je m’élançais vers elle.

Un taureau, à la tête d’un troupeau de vaches, venait à sa rencontre et s’arrêtait en travers du chemin, l’oeil en feu, poussant ce mugissement rauque et comme étouffé qui indique d’une façon particulière la jalousie et la méfiance. Le taureau était sans gardien, et Love avançait toujours, ne faisant aucune attention à la menace du taureau. Hope, armé d’une petite canne, semblait disposé à le provoquer plutôt qu’à reculer devant lui.

Je doublai le pas. Je savais que ces taureaux, élevés en liberté et très doux avec leurs pasteurs, sont quinteux et s’irritent contre certains vêtements ou certaines figures nouvelles.

Hope, courageux et déjà homme par l’instinct de la protection, se plaça entre sa soeur et l’ennemi, leva sa petite canne, et fit mine de frapper ; mais, l’animal faisant tête, le jeune homme se jeta de côté et le toucha sur le flanc.

Dès lors, sa soeur était en grand danger. Le taureau bondit vers Love, qui se trouvait face à lui. Elle eut peur, car elle fit un grand cri et recula jusqu’au précipice.

Par bonheur, j’avais eu le temps d’arriver et d’arracher la petite canne des mains de Hope. J’en frappai le taureau sur le nez. Je savais que, dans notre pays, on se rend maître de ces animaux avec une chiquenaude sur les narines.

Le taureau s’arrêta stupéfait et, comme je le menaçais de recommencer, il tourna le dos et s’enfuit.

Restait l’équipage à préserver de sa rancune. Le domestique à pied se réfugia bravement derrière la voiture, et le cocher, ne pouvant prendre le large, rassembla ses chevaux pour les empêcher de s’effrayer. Je suivis le taureau, et le forçai encore, sans aucun danger pour moi-même, à passer sans attaquer personne.


George Sand (Jean de la Roche)








SENS DES  MOTS



1/ J’entendis : l’auteur du récit fait aussi une excursion dans cette même région.

2/ Instinctivement : par instinct, d’un mouvement naturel et irréfléchi.

3/ Rauque : enroué, venant de la gorge.

4/ Quinteux  : (idée de quintes, c’est-à-dire d’intervalles : des quintes de toux), sujet à des accès de colère.

5/ Chiquenaude : coup appliqué avec le doit plié, puis détendu brusquement.

6/ Stupéfait : immobile de surprise.

7/ Rancune : ressentiment, sorte de colère froide qu’on garde d’une offense.








SENS DU TEXTE

1/ Quels sont les personnages du récit ?

2/ Quelles sont les circonstances qui expliquent la gravité du péril ?

3/ A quoi voyons-nous que la jeune fille est en grand danger ?

4/ Comment, par son sang-froid, le voyageur sauve-t-il la jeune fille et l’équipage ?

5/ Comment se termine le récit ? (Remarquez l’ironie du mot «bravement»)








Rédaction :

La jeune fille raconte l’aventure qui faillit lui coûter la vie. (Rédigez sous forme de récit ou lettre).