Malheur au pays dont la littérature est menacée par l’intervention du pouvoir !
Car il ne s’agit plus là seulement d’une violation du «droit d’écrire», c’est l’étouffement du coeur d’une nation, la destruction de sa mémoire.
(Alexandre Issaïvitch Soljenitsyne)
Arsène Arnaud Claretie, romancier, auteur dramatique, historien et chroniqueur de la vie parisienne, est né à Limoges (1840-1913).
Charles Gounod
Charles Gounod (1818-1893) fut l’un des plus illustres musiciens du siècle dernier. Sa vocation pour la musique se manifestera alors qu’il était tout jeune.
Jules Claretie raconte à ce sujet une intéressante anecdote.
Une vocation
Plan
1/ Les prévisions du proviseur
2/ Proposition de composer un air
3/ L’enfant le compose, le chante ; joie et réflexion du Proviseur
4/ A Saint-Eustache
1/
Les parents de Gounod s’inquiétaient de cette vocation artistique et s’en plaignirent au proviseur du collège où se trouvait l’enfant. Ce proviseur était M. Poirson, qui les rassura.
«Lui, musicien ? Jamais. Je l’ai bien étudié ; il a le génie du grec, le sentiment de la latinité : il sera professeur.» Et il fit le jour même appeler son élève dans son cabinet.
2/
«On vous a, lui dit-il, surpris encore à griffonner dans vos cahiers des notes de musique.
- Oui, répondit Gounod, je veux être musicien.
- Allons donc, cher enfant, ce n’est pas un état. On ne se fait pas musicien comme on se fait soldat. Tenez, voilà du papier, une plume. Composez-moi un air nouveau, un air quelconque sur les paroles de Joseph : «A peine au sortir de l’enfance.» Nous allons bien voir.
3/
C’était l’heure de la récréation. Avant que la cloche de l’étude eût sonné ou que le tambour eût battu, Gounod revenait vers le proviseur avec sa page toute noire.
«Ah ! le pensum est achevé, fit M. Poirson ; déjà ?
- Ce n’est pas un pensum, dit Gounod.
-Et bien, voici mon piano, chantez.»
Et Gounod chanta. Le bon M. Poirson écoutait, étonné, remué, ravi. Tout à coup, les yeux pleins de larmes :
«Bah ! s’écria-t-t-il en se levant pour aller embrasser le jeune Charles, ils diront ce qu’ils voudront, fais de la musique.»
4/
Lorsque Gounod, premier grand prix de Rome, fit exécuter sa première oeuvre à Saint-Eustache, en rentrant chez lui, il trouva ce billet écrit, au crayon, de la main du vieux proviseur : «Bravo, cher homme que j’ai connu enfant !». M. Poirson était allé, sans rien dire, écouter, à l’ombre d’un pilier de l’église, la musique de celui qu’il avait appelé le Petit Charles, et qu’autrefois il avait non seulement connu, mais deviné.
Jules Claretie (La vie à Paris)
Explication des mots et des phrases
Sens des expressions en italiques :
Vocation artistique : goût, disposition qu’on se sent pour les arts, musique, peinture etc...
Proviseur : chef d’un lycée.
Il a le génie du grec, le sentiment de la latinité : il annonce des dispositions pour l’étude du grec et du latin.
On ne se fait pas musicien comme on se fait soldat : il y a autrement de difficultés pour pratiquer l’art du musicien, qui exige du génie, que pour être soldat, une profession que tout le monde peut remplir.
Pensum : surcroît de travail imposé à un écolier comme punition.
Etonnée : surpris : remué : touché, ravi : transporté de joie - Ces trois mots sont placés par gradation.