Les semailles
C’est le moment crépusculaire
J’admire, assis sous un portail,
Ce reste de jour dont s’éclaire
La dernière heure du travail.
Dans les terres, de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D’un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.
Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.
Il marche dans la plaine immense
Va, vient, lance la graine au loin,
Rouvre sa main et recommence ;
Et je médite, obscur témoin
Pendant que, déployant ses voiles,
L’ombre, où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu’aux étoiles
Le geste auguste du semeur.
Victor Hugo
(Chansons des rues et des bois)
LE SENS DES MOTS
1/ Le moment crépusculaire : le crépuscule, la dernière lumière du jour.
2/ Haillons : mauvais vêtements.
3/ Silhouette : dessin des contours en noir qui, ici, se détache au-dessus des labours (elle les domine).
4/ La fuite utile : les jours fuient, mais ils apportent une moisson future, qui sera utile aux hommes.
5/ Je médite : je réfléchis profondément (il se trouve petit et obscur, face à ce travailleur bienfaisant).
6/ Auguste : grand, noble, sacré, religieux.
LE SENS DU TEXTE
1/ Une scène se semailles, à la chute du jour. Le poète admire contemple, médite....
2/ Tout au centre du tableau, le semeur. Le poète lui a donné grandeur et majesté ; c’est un vieillard, un vieillard pauvre (il est en haillons), et il travaille jusqu’à la chute du jour.
3/ La beauté des images : il jette à poignées la moisson future, il croit à la fuite des jours, l’ombre déploie ses voiles.
4/ Le geste du semeur qui semble atteindre le ciel, comme s’il semait des étoiles (les deux derniers vers). La grandeur de cette vision finale.
5/ Le poète célèbre le semeur qui transmet la vie, et il célèbre aussi tous les travailleurs qui créent le pain, le bonheur et l’avenir des hommes...