lundi 23 mars 2020

N° 41 - Justice et fraternité (Charles Renouvier)



Charles Renouvier



Charles Renouvier, philosophe français, né à Montpellier en 1815, mort à Prades en septembre 1903, était le fils de Jean-Antoine Renouvier, député de l'Hérault de 1827 à 1834, et le frère de Jules Renouvier (1804-1860), représentant du peuple en 1848, connu comme l'auteur d'une Histoire de l'art pendant la Révolution française. Elève de l'Ecole polytechnique, Ch. Renouvier renonça à une carrière officielle pour se consacrer à l'étude. Il collabora à l'Encyclopédie nouvelle de Pierre Leroux et Jean Reynaud, et publia un Manuel de philosophie moderne (1842) et un Manuel de philosophie ancienne (1844). En 1848, il fut appelé par le ministre provisoire de l'instruction publique, Hippolyte Carnot, à faire partie de la Haute Commission des études scientifiques et littéraires, dont il fut au secrétaire (29 février) ; la présidence de la commission avait été donnée à Jean Reynaud.








Justice et fraternité


L'Elève : 

- Donnez-moi une règle pour juger mes actions.

L'Instituteur :

- Il en est une que vous portez en vous-même, et que je ne pourrais pas vous apprendre, si par malheur, vous l'ignoriez entièrement : c'est la justice. Ne faites point à autrui ce que vous ne jugeriez point devoir vous être fait. Faites pour les autres ce que vous jugez que les autres doivent faire pour vous. Je vous dirai encore ceci : la justice est une espèce d'égalité. Supposez vos semblables à votre place et mettez-vous à la leur ; jugez après. Lorsque vous vous demandez si vous devez faire ou ne pas faire quelque chose oubliez pour un moment votre intérêt, vos passions ; demandez-vous ce que vous penseriez de cette action si un autre la faisait. Alors vous serez juste, et vous aurez fait le premier pas dans le perfectionnement.

L'Elève :

- Ce n'est donc pas tout que d'être juste ?

L'Instituteur : 

- Non. La justice parfaite est le premier degré de la perfection ; mais après le premier, il y en a un second : c'est la parfaite fraternité.

L'Elève : 

- Qu'est-ce que la fraternité ?

L'Instituteur :

- La fraternité est un sentiment qui nous porte à ressentir tous les mêmes joies et les mêmes peines, comme si les hommes ne faisaient qu'un. Ainsi ceux-là sont frères, qui veulent partager les souffrances les uns des autres et qui dirigent leurs forces à se rendre heureux mutuellement. Soulager de leur fardeau les travailleurs dont la vie est trop dure, instruire les ignorants, ramener au sentiment du bien les coupables que la misère ou l'injustice ont égarés, voilà des actes de fraternité.

L'Elève :

- Je comprends maintenant ce que vous avez entendu par ce mot perfectionnement, et mon coeur me dit que vous ne vous trompez point. Toutes les fois qu'il m'est arrivé de me conduire ainsi, je me suis senti meilleur ou plus parfait. Mais vous m'avez dit aussi que je ne deviendrais vraiment heureux qu'en devenant meilleur. Voulez-vous m'expliquer ces parles ?

L'Instituteur :

- L'homme est destiné à la perfection, quoique la perfection ne puisse pas être atteinte en cette vie. De là vient que celui qui n'y vise point se dégrade, et la dégradation est le commencement du malheur. Si quelqu'un ne pratique pas la fraternité, il est bien près de devenir injuste, celui qui est injuste se laisse aller bientôt à tous les vices, et les vices le mènent à l'abrutissement et à la perversité. Nul pervers n'est heureux. Le méchant souffre, même au sein des richesses, et il n'y a jamais de paix pour son âme. Ainsi le bonheur ne se trouve sur la terre que dans l'accomplissement de la fin pour laquelle nous avons été créés, c'est-à-dire de notre action sur nous-même et sur nos semblables pour nous rendre tous meilleurs.




Sens des expression et des phrases en italiques


Une règle : un principe, une ligne de conduite.

Juger mes actions : les apprécier, en connaître le mérite ou le démérite.

Votre intérêt : votre avantage.

Vos passions : vos préventions, ce qui vous pousse à agir dans un sens plutôt que dans l'autre.

Perfectionnement : amélioration de soi-même.

Qui dirigent leurs forces : font tous leurs efforts.

Mutuellement : les uns les autres.

Perfection : le plus haut degré qu'on puisse atteindre dans la vertu.

Se dégrade : s'abaisse moralement.

Abrutissement : perte de l'intelligence.

Perversité : corruption, vice.



Analyse des idées



De quelles vertus est-il question dans ce texte ?

Quelles sont les règles de justice ?

Comment l'auteur montre-t-il que la justice est une espèce 
d'égalité ?

Quelle définition donne-t-il de la fraternité ?

Comment doit s'exercer la fraternité ?

Qu'est-ce que viser à la perfection de soi-même ?

Où l'auteur du texte place-t-il la source du bonheur ?